Le luxe vu par

Bureau d’Image : Comment définiriez-vous le luxe ?
Pierre Hermé : Selon moi, le luxe c’est le temps, une part de rêve, mais aussi et surtout la création.

BI : Le luxe à la française existe-t-il et quelles seraient ses caractéristiques ?
PH : Oui, il existe bel et bien, il n’y a pas de doute là-dessus. Le luxe à la française, avec son esprit et son style, a inspiré l’ensemble des marques de luxe à travers le monde. Les rois et reines ont impulsé cette tendance. De grandes personnalités l’ont ensuite enrichi et modernisé, à l’image de Charles Frederick Worth qui a créé la haute-couture (NDLR, couturier français, l’un des fondateurs de la haute couture Parisienne et de la maison Worth). Le raffinement et l’art de vivre rendent également très perceptible ce luxe à la française qui perdure.

BI : Quelles ont été les grandes évolutions du luxe au cours des dernières décennies ?
PH : L’évolution majeure touche selon moi au travail que l’industrie du luxe consacre à l’expérience client. Il est désormais possible de se procurer un article de luxe sur le web. C’est pourquoi, afin de se démarquer lorsque le client se déplace en boutique, les Marques construisent un parcours personnalisé afin que le client vive une expérience unique, complète, avec une qualité de service haut-de-gamme dès l’accueil, durant l’achat mais également après celui-ci. Cette expérience client est devenue fondamentale, un aspect sur lequel une grande partie de l’attention est focalisée.

BI : Comment les entreprises du luxe se démarquent-elles ?
PH : Indéniablement par la création et la qualité des matières premières, des ingrédients, de l’environnement… Mais aussi par la qualité de service que je viens d’évoquer. Le prochain virage que je pressens, c’est la perception des suremballages pour des questions éco-responsables. Nous allons nécessairement évoluer vers un packaging plus sobre, moins consommateur de matières. Nous y travaillons d’ores et déjà chez Pierre Hermé.

BI : Quel leader êtes-vous ? Quels principes guident votre vie professionnelle ?
PH : La Maison porte mon nom et je suis le créateur des produits de la Maison. Je m’efforce à travers cela d’entraîner avec moi l’ensemble de l’entreprise pour partager cette création, sentir, goûter, percevoir les subtilités, et insuffler l’âme de la Maison. C’est un travail de tous les jours.

BI : Quelles exigences la direction d’une entreprise de luxe requiert-elle ?
PH : La rigueur, l’exemplarité et la passion. Dans la pâtisserie, il nous faut par exemple ériger toutes les créations en recettes et donc en process pour que notre idée de Qualité perdure et parvienne au client, partout où il se trouve. C’est une remise en question permanente.

BI : Quelle qualité première exigez-vous de vos équipes ?
PH : Le professionnalisme, la passion et la rigueur. Les mêmes exigences que je m’impose.

BI : Quelle faute vous inspire le plus d’indulgence ?
PH : L’erreur que l’on commet lorsque l’on entreprend quelque chose de nouveau. La faute serait de ne pas en tirer les leçons et les conséquences. J’encourage toutes les initiatives, pour peu qu’elles soient fidèles à l’image et aux codes de l’entreprise même s’il faut parfois savoir titiller et bousculer ces codes.

BI : En quoi est-il essentiel de former vos équipes à l’excellence de service ?
PH : Depuis la création de Pierre Hermé, nous avons mis en place un service de formation du personnel de ventes et de service. Nous déployons ces modules de formation dans l’ensemble de nos boutiques, en France, au Japon et dans les autres pays dans lesquels nous sommes présents. Ces formations permanentes sont fondamentales pour garantir l’excellence de service et sont dispensées aussi bien aux nouveaux collaborateurs qu’aux autres car nos process évoluent, l’accompagnement du client progresse. C’est pourquoi nous peaufinons et mettons à jour très régulièrement ces formations.

BI : Continuez-vous à en apprendre chaque jour un peu plus sur le luxe, ses codes et ses multiples façons de l'incarner ?
PH : J’apprends réellement tous les jours, à chaque rencontre ou rendez-vous, en partageant avec mes équipes, mes fournisseurs. Continuer d’apprendre est même une nécessité pour moi. 

BI : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes professionnels ?
PH : Il est primordial, selon moi, que ceux qui débutent une carrière dans la pâtisserie, l’envisagent comme des études. Il y a en effet, d’une part, l’apprentissage par la pratique, le travail en atelier, et, d’autre part, un apprentissage théorique, chez soi, pour découvrir des ingrédients et des techniques. Il est indispensable de bien maîtriser l’ensemble des techniques. Il est également nécessaire de s’intéresser à l’histoire de ce métier et d’observer ce que réalisent les confrères. La pâtisserie, c’est une histoire de passion et sans elle, ce serait vide de sens.

BI : Que préconisez-vous pour les hommes : barbe soignée ou rasage de près ?
PH : Les deux me conviennent parfaitement.

BI : Pour les femmes : pour ou contre le vernis rouge ?
PH : Ma préférence va à des couleurs plus douces. Par ailleurs, en boutique, nos vendeuses et vendeurs ne portent ni bijou, ni parfum. Pour des questions d’hygiène mais aussi en cohérence avec notre métier qui sollicite le goût et l’odeur. 

BI : Si la pâtisserie était une couleur, quelle serait-elle ?
PH : Chocolat.

BI : Un animal ?
PH : Un chat, agile, doux, malin.

BI : Un adjectif ?
PH : Heureux.

BI : Une émotion ?
PH : Château d’Yquem 1967.

BI : Une œuvre d’art ?
PH : La Joconde, parfaite de beauté. Une idée du luxe, une œuvre où tout est émotion. Elle traverse le temps.

BI : Une devise ?
PH : La remise en question perpétuelle est la manière la plus sûre d’avancer.

BI : Une vertu ?
PH : L’honnêteté, une vertu extrêmement importante dans l’univers du luxe.

BI : Un personnage historique ?
PH : Le Dalai Lama, une personnalité que j’aimerais beaucoup rencontrer, qui véhicule des vertus de bienveillance, d’attention et d’ouverture à l’autre.