L’humain est consubstantiel au luxe
Vice-Président d’Orient Express, nouvelle marque d’hôtels du groupe Accor, Guillaume de Saint Lager qualifie lui-même son parcours de "singulier et multiple", mêlant des univers rationnels d’un côté (droit et finance pour ses études, ainsi qu’un parcours d’avocat au sein du cabinet d’avocats Darrois Villey Maillot Brochier), et créatifs de l’autre (confection de chapeaux haute-couture avec Maison Saint Lager).
"Passionné par l’histoire de l’Orient Express", Guillaume de Saint Lager est donc aujourd’hui à la tête du développement de la Collection du même nom, déclinaison hôtelière du mythique train de luxe. La 1re adresse sera inaugurée d’ici 2021 dans le gratte-ciel emblématique de Bangkok, la tour King Power Mahanakhon. Une dizaine d’autres suivront le pas, partout dans le monde, d’ici 2030.
Des senteurs créées par le parfumeur Thierry Wasser aux uniformes imaginés par le styliste Louis-Marie de Castelbajac, en passant par les spas conçus par Guerlain, la Collection Orient Express crée son propre univers entre histoire et modernité, en préservant le juste équilibre entre l’identité de la Marque et la personnalité de chaque hôtel qui reflétera l’âme de la destination.
Ce souci du détail et du raffinement, le groupe Accor le développe en particulier pour son pôle luxe en partenariat avec Bureau d’Image. Le cabinet accompagne en effet régulièrement les établissements Raffles, Fairmont, Pullman, Sofitel et MGallery pour des formations innovantes et sur-mesure de grooming et d’excellence de service.
Bureau d’Image : Comment définiriez-vous le luxe ?
Guillaume de Saint Lager : Trois notions caractérisent essentiellement le luxe à mes yeux. La première concerne le temps car le luxe, par essence, bouleverse le temps, le ralentit ou l’accélère. Il y a 100 ans, l’Orient Express a par exemple considérablement réduit les temps de voyage. A l’inverse, le travail d’un artisan dans le luxe va nécessiter un temps plus long.
La deuxième notion couvre la dimension émotionnelle car un produit ou un service de luxe touchent le cœur des clients, autrement dit leur cerveau droit qui relève des émotions et de l’intuitif. Enfin, et c’est selon moi la notion la plus importante : la dimension humaine, consubstantielle au luxe. C’est la clé différenciante par rapport aux machines et à la robotique. De la création et du travail minutieux d’un artisan sur un sac, d’un Chef en cuisine, d’un architecte d’intérieur ou d’un maître d’hôtel naissent des instants uniques et précieux, que l’on peut associer au luxe.
BI : Le luxe à la française existe-t-il et quelles seraient ses caractéristiques ?
GdSL : Le luxe est toujours très ancré en France du fait de sa riche histoire et de son héritage. La symbolique entre la France et le luxe est étroitement liée à sa dimension humaine et à la créativité. Cette créativité est affranchie et insolente en France. La France n’est pas suiveuse de tendances mais elle en prend au contraire le contre-pied. Sa créativité singulière, à rebours des tendances, est très enviée et inspire le monde entier.
BI : Quelles ont été les grandes évolutions dans l’hôtellerie de luxe au cours des dernières décennies ?
GdSL : Il y a selon moi deux évolutions principales : 1. La personnalisation croissante des produits et services pour individualiser l’expérience clients ; 2. Le décloisonnement des univers produits et services qui ont très longtemps été scindés. Les grandes Marques s’invitent de plus en plus dans l’univers du service (Louis Vuitton, Bulgari, Dior, etc.). Dans l’hôtellerie de luxe, les concurrents ne seront ainsi bientôt plus seulement les hôteliers eux-mêmes mais aussi – et surtout – des Marques mondialement connues avec des communautés très puissantes et engagées. Et à plus ou moins long terme, pourquoi pas un Apple ou un Google s’invitant à la table de l’hôtellerie ? Tout est envisageable avec des marques aussi puissantes !
BI : Comment les hôtels de luxe se démarquent-ils ?
GdSL : Evidemment par une qualité de service en tout point remarquable. Mais c’est insuffisant selon moi. Pour continuer de se démarquer dans les 10 ans qui viennent, les hôtels de luxe devront à mon sens être capables de créer encore davantage de liens avec leur communauté (leurs clients autrement dit), au-delà du simple séjour dans l’établissement. Une marque de luxe hôtels doit mener cette réflexion à 360° et être capable d’engager totalement sa communauté pour susciter une émotion avant, pendant et après un séjour. En cela, ALL – Accor Live Limitless (le nouveau compagnon lifestyle du quotidien qui réunit et enrichit l’ensemble des marques, des services et des partenariats évoluant au sein de l’écosystème de Accor), sera un allié incontestable pour nous permettre de toucher nos clients en dehors de leurs séjours, en leur proposant une palette d’expériences uniques !
BI : Quel leader êtes-vous ? Quels principes guident votre vie professionnelle ?
GdSL : C’est l’affect qui me guide au quotidien, en cohérence avec la manière dont les Millennials abordent le travail. Aujourd’hui, il n’est pas envisageable de s’ennuyer au travail et il est essentiel de bien se sentir dans sa vie professionnelle. C’est pourquoi il m’est important de bien connaître les gens qui m’entourent, d’apprécier leurs passions et de mesurer leur créativité. Je cherche à les comprendre et à les aider avec un maximum d’empathie et de bienveillance. Je m’attache à créer un climat dans lequel ils se sentent bien. Un climat propice à l’imagination et à la création. Je suis à la fois très proche tout en étant très exigeant. Cela rejoint les valeurs que portent Sébastien Bazin, PDG de Accor, qui préside aussi Orient Express.
BI : Quelles exigences la direction d’un hôtel de luxe requiert-elle ?
GdSL : La Marque d’un hôtel de luxe doit couler dans les veines de son Directeur général. Il doit se l’approprier et se passionner pour elle afin de pouvoir l’incarner. Tracy Lowe, Directrice de l’Orient Express Mahanakhon Bangkok, illustre d’ailleurs très bien cette démarche. Elle s’est profondément intéressée à Orient Express pour être en phase avec la Marque et créer une expérience unique pour nos clients.
BI : Quelle qualité première exigez-vous de vos équipes ?
GdSL : La passion car avant toute chose, il faut aimer ce que l’on fait et l’environnement dans lequel on évolue. Dès lors, on vit, on incarne et on promeut naturellement la Marque pour laquelle on travaille.
BI : Quelle faute vous inspire le plus d'indulgence ?
GdSL : Le manque temporaire de disponibilité qui peut être lié à divers facteurs externes. Nous ne sommes pas des machines et la vie personnelle peut parfois influer sur l’activité professionnelle. C’est pourquoi il est essentiel à mes yeux de bien connaître mes équipes pour mieux les comprendre et les accompagner.
BI : En quoi est-il essentiel de former vos équipes à l’excellence de service ?
GdSL : Tout établissement de luxe forme continuellement ses équipes à l’excellence de service. C’est un socle incontournable. Mais pour aller un peu plus loin et pouvoir raconter une histoire à nos clients, susciter une attention particulière, les équipes de l’hôtel doivent connaître l’histoire et l’ADN de l’Orient Express. Ce sont elles les premiers ambassadeurs de la Marque auprès des clients.
BI : Même en qualité de Vice-Président d’Orient Express, continue-t-on d'en apprendre chaque jour un peu plus sur le luxe, ses codes et ses multiples façons de l'incarner ?
GdSL : Oui, l’apprentissage est permanent. Par exemple, contrairement à ce que beaucoup de gens disent, le luxe est omniprésent de nos jours. Il est protéiforme et démocratisé, même s’il se drape d’une rareté qu’il a perdu. Je lis et me renseigne ainsi sans cesse sur cet univers, ce qui m’aide à me remettre en question et à me poser les bonnes questions : quels risques, quelles opportunités et quelle stratégie mettre en place pour engager un maximum notre communauté autour d’Orient Express ?
BI : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes professionnels ?
GdSL : Soyez vous-mêmes. Soyez insolents. Exprimez votre personnalité, soyez singuliers, affirmez-vous et surtout challengez vos managers. Vivez aussi – avec force – vos passions en dehors de votre vie professionnelle ; c’est essentiel.
BI : Que préconisez-vous pour les hommes : barbe soignée ou rasage de près ?
GdSL : De la même manière que j’encourage tous mes collaborateurs à vivre et évoluer avec leur personnalité, je n’ai pas de préconisation particulière : soyez vous-mêmes.
BI : Pour les femmes : pour ou contre le vernis rouge ?
GdSL : Sur cette question également : soyez vous-mêmes !
BI : Si l’hôtellerie de luxe était une couleur, quelle serait-elle ?
GdSL : Le Bleu Nuit de l’Orient Express.
BI : Un animal ?
GdSL : Le paon, charmeur et séducteur.
BI : Un adjectif ?
GdSL : Emotionnel.
BI : Une émotion ?
GdSL : La surprise.
BI : Une œuvre d’art ?
GdSL : Le Penseur de Rodin. Massif, majestueux, mais aussi intime et très personnel. Il est très connu et reste néanmoins à découvrir…
BI : Une devise ?
GdSL : "Créé par les humains pour les humains", devise empruntée à Tristan Auer, l’architecte d’intérieur qui a réimaginé les intérieurs Art déco et les motifs végétaux des voitures originelles de l’Orient Express pour le premier hôtel de la Collection à Bangkok. La dimension humaine est indispensable pour susciter le rêve, la surprise et l’irrationnalité.
BI : Une vertu ?
GdSL : La bonté.
BI : Un personnage historique ?
GdSL : Georges Nagelmackers, fondateur de l’Orient Express. Il a rebattu les cartes en créant les trains de luxe, en y introduisant la modernité et la haute gastronomie, en y agrégeant des savoir-faire d’artistes-décorateurs comme René Prou et René Lalique, l’orfèvrerie Christofle, la porcelaine Haviland, les plus grands vins et champagnes, les premiers magazines embarqués… En termes de management aussi, il a innové en tenant compte du bien-être de ses salariés.