Le luxe, c’est l’équilibre entre la tradition et l’innovation
Co-fondatrice de Chic at Work en 2012 avec Jean-François Keit et Laure de Saint-Hippolyte, Catherine Jarrige est aujourd’hui Directrice de projet dans cette agence qui s’est très rapidement imposée comme une évidence auprès des acteurs de l’hôtellerie de luxe. Depuis près de dix ans, les plus grands Palaces ont en effet sollicité l’expertise de Chic at Work qui conçoit et réalise les vêtements d’image pour ces grandes maisons du luxe : le Ritz, le Crillon, La Mamounia, le Lutetia, le Plaza Athénée, La Réserve, le K2 à Courchevel…
"L’uniforme constitue le premier contact visuel avec le client et signe une part de son identité valorisant à la fois les établissements et les employés individuellement" explique Catherine Jarrige.
En quelques mots, Chic At Work fait partie d’un groupe de 3 marques, avec l’agence Keit et Cabiola, structuré comme une maison de couture avec un bureau de style composé d’un directeur artistique (Jean-François Keit, passé par la maison Yves Saint-Laurent et le bureau de style Martine Leherpeur) et de stylistes ; un atelier de prototypage intégré aux ateliers parisiens ; des services d’accompagnement et de suivi des projets (mise au point des modèles, sourcing matière, tests tissu, réassorts, accompagnements spécifiques pour les ouvertures.
Au travers de son bureau de style qui conçoit des projets sur-mesure, les stylistes de Chic At Work ont particulièrement brillé pour les créations des uniformes de La Mamounia signant une collection mêlant culture marocaine et french Touch, ou encore ceux du Sinner avec son parti-pris décalé de ses uniformes, mi-jupe et mi-pantalon.
La force de Chic at Work, c’est de savoir simultanément appréhender les préoccupations très opérationnelles des hôtels d’un côté, et pouvoir recevoir les messages et concepts des meilleurs designer. Récemment, Chic at Work a ainsi travaillé main dans la main avec Hugo Matha pour Le Crillon, Gaspard Yurkievich pour le Lutétia et un autre grand créateur pour la prochaine et très attendue ouverture de l’hôtel Cheval Blanc de LVMH.
En fin de chaîne artistique, après avoir conçu et confectionné les uniformes, Chic at Work accompagne sur le terrain les collaborateurs pour la prise en main et l’appropriation de leur nouvelle collection. "Nous les accompagnons durant une dizaine de jours car il est crucial pour nous et nos clients que cette nouvelle garde-robe valorise à la fois les établissements mais aussi chacun des employés au cœur d’un collectif."
Dans ces établissements haut-de-gamme, justement, une véritable alchimie s’est créée sur le terrain entre Chic At Work et Bureau d’Image qui entreprennent régulièrement des projets communs. Bureau d’Image intervient notamment sur le port des uniformes Chic At Work et accompagne les collaborateurs des Palaces, au Lutetia, à La Mamounia ou au Ritz.
Bureau d’Image : Comment définiriez-vous le luxe ?
Catherine Jarrige : Les trois E – Exception, Excellence, Émotion – illustrent bien ce qu’est le luxe. Le rapport au temps et à l’espace caractérise aussi très bien l’hôtellerie de luxe. A mon sens et quel que soit le secteur d’activité, le luxe doit adopter le bon équilibre entre la tradition et l’innovation. Le vrai challenge est de pouvoir bousculer et réinventer avec respect les traditions. C’est particulièrement vrai pour le vêtement. Récemment, nous avons planché sur certains services du Ritz pour les faire évoluer. Nous avons eu la chance de pouvoir consulter l’ensemble des archives des anciens uniformes de l’hôtel pour nous inspirer de la tradition de l’établissement, en apportant une touche de modernité et sans jamais recopier pour ne pas tomber dans la caricature.
BI : Le luxe à la française existe-t-il et quelles seraient ses caractéristiques ?
CR : Le luxe à la française puise ses origines dans un savoir-faire hors du commun qui remonte à la manufacture de Louis XIV et à la tradition de la mode en France. Ce savoir-faire se décline dans l’industrie de l’accueil, la maroquinerie, la gastronomie, la mode… Et contrairement à ce que l’on peut constater à l’étranger, le luxe à la française n’est pas ostentatoire, pas formalisé. Nous avons en France une culture du goût, du savoir-faire et des belles choses. Cette éducation qui se transmet de siècle en siècle favorise l’approche et la concrétisation naturelles et non formalisées du luxe.
BI : Quelles ont été les grandes évolutions dans le luxe au cours des dernières décennies ?
CR : Depuis une dizaine d’années, le luxe n’est plus un domaine réservé et vieillissant. Le secteur s’est démocratisé, sans pour autant perdre ses lettres de noblesse, pour s’ouvrir à une clientèle plus jeune. La grande gastronomie française a d’ailleurs ouvert la voie dans les années 1990 en créant le concept de bistronomie. Rendre le luxe plus abordable tout en conservant ses codes : là encore, tout est question d’équilibre car la limite du concept, c’est la vulgarisation et la perte de rareté.
BI : Comment les entreprises du luxe se démarquent-ils ?
CR : Par leur capacité à susciter le rêve et le désir. La part émotionnelle d’un objet ou d’un produit fait toute la différence. Ce sont les Marques qui créent et portent cette émotion. Ce sont elles, par exemple, qui font qu’une chaussure ou une montre deviennent bien plus qu’un objet. Au-delà de l’objet, c’est l’image de la Marque et son savoir-faire qui font vibrer les gens.
BI : Quel leader êtes-vous ? Quels principes guident votre vie professionnelle et quelles exigences la direction d’un établissement de luxe requiert-elle ?
CR : A l’image de la danse que j’ai beaucoup pratiquée, j’ai un rapport étroit à la rigueur. Sans carcan idéologique, la rigueur donne un cadre essentiel pour atteindre l’excellence. En tant que leader, je suis garante de la réussite mais chacun des collaborateurs qui m’entourent l’est tout autant. Je leur fais confiance et suis à l’écoute pour les guider et décoincer des situations. L’agilité est une qualité primordiale pour identifier les meilleures solutions.
BI : Quelle qualité première exigez-vous de vos équipes ?
CR : Un plein engagement et un bon état d’esprit, aussi bien en interne qu’en externe. Comme disait Voltaire, "il est poli d'être gai". C’est en ce sens que nous accordons une grande importance chez Chic at Work à la révélation et à l’expression de la personnalité de chacun. Avec passion et enthousiasme. Nous avons créé un véritable esprit de famille et pour nous, l’équilibre entre l’expertise, le savoir-être et la personnalité est crucial. Cela favorise l’émergence et la coexistence de personnalités dans un collectif. La remise en question et l’humilité sont tout aussi cruciales pour atteindre l’excellence.
BI : Quelle faute vous inspire le plus d'indulgence ?
CR : Une faute reconnue et partagée sans dissimulation afin de trouver une solution.
BI : En quoi est-il essentiel de former vos équipes à l’excellence du service client ?
CR : La qualité de service est une priorité absolue. Lorsque vous passez une journée au cœur de l’hôtellerie, par exemple, vous n’entendrez à aucun moment un employé dire "non". C’est inconcevable car l’excellence de service implique de trouver les bons mots, de proposer une solution ou une alternative. Chez Chic at Work, nous nous appliquons la même règle. Cette rigueur que nous évoquions précédemment et que chacun doit s’appliquer ne doit d’ailleurs par se voir ou être ressentie par le client.
BI : Même en qualité de dirigeante, continue-t-on d'en apprendre chaque jour un peu plus sur le luxe, ses codes et ses multiples façons de l'incarner ?
CR : L’intelligence, c’est aussi le doute. Ce doute est indispensable pour se confronter au monde extérieur et aux gens que l’on rencontre. Il doit néanmoins être dissipé au moment d’agir. Mais le questionnement positif, pour avancer et innover, m’accompagne au quotidien. Dans la mode, notamment, la transformation et l’innovation sont permanentes et rien n’est figé.
BI : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes professionnels ?
CR : Quel que soit le domaine d’activité dans lequel un jeune débute sa carrière, il est indispensable qu’il soit engagé, pleinement, mais sans se laisser envahir pour ne pas subir son travail. L’engagement et la passion offrent une certaine forme de liberté, balayent les contraintes, et tout devient plus léger.
BI : Que préconisez-vous pour les hommes : barbe soignée ou rasage de près ?
CJ : Les diktats sur ce que l’on doit faire ou non sont tombés. Aujourd’hui, les individus sont encouragés à se montrer tels qu’ils sont vraiment. Si exprimer sa personnalité, c’est porter ou non la barbe, à chacun de choisir, sans que quoi que ce soit lui soit imposé.
BI : Pour les femmes : pour ou contre le vernis rouge ?
CJ : L’élégance pour une femme, c’est de savoir s’adapter aux situations et ne pas être trop négligée, ni trop apprêtée. Le bon goût, c’est savoir choisir le bon moment. Dans le cadre professionnel de l’hôtellerie de luxe, il faut trouver le bon équilibre entre l’élégance d’un côté, la réserve et la discrétion de l’autre. Et le vernis rouge ne semble pas en adéquation avec le métier de service dans l’univers du luxe…
BI : Si le luxe était une couleur, quelle serait-elle ?
CJ : Le noir. Celui du smoking de Yves Saint Laurent et de la Petite Robe Noire de Chanel.
BI : Un animal ?
CJ : Un félin. Agile, élégant et indépendant.
BI : Un adjectif ?
CJ : Intemporel. Dans le luxe, la nouveauté devient instantanément une référence.
BI : Une émotion ?
CJ : Le désir. Réserver une chambre dans un hôtel de luxe, c’est y penser des semaines avant et attendre ce moment qui appartient au domaine du rêve.
BI : Un objet ? / Une œuvre d’art ?
CJ : Le Mobile de Calder. L’équilibre est une notion essentielle dans le luxe. Et le Mobile de Calder en est l’illustration, à la fois massif et léger.
BI : Une devise ?
CJ : Une citation de Sonia Rykiel : "L'élégance n'est pas n'est pas une question de luxe, de richesse. Mais d'attitude."
BI : Une vertu ?
CJ : Le sens du service avec une personnalisation poussée, une adaptation permanente et une appropriation du rôle.
BI : Un personnage historique ?
CJ : Coco Chanel, encore aujourd’hui l’incarnation mondiale du luxe à la française.