Le luxe à la française entretient une réelle dualité : à la fois traditionnel et iconoclaste
Yann Gillet, 51 ans, est Directeur général de l’Hôtel Martinez à Cannes depuis l’été 2019. Diplômé d’un BTS de l’Ecole Hôtelière de Paris, d'un Master 1 à l’Ecole Supérieure de Management et de Gestion de Strasbourg en 1994, et d'un Master 2 en Finance à l’IAE de Paris en 1999, il a occupé différents postes de direction des opérations et de direction générale au sein des hôtels Hyatt, dont le légendaire Martinez fait partie de The Unbound Collection by Hyatt.
Son aventure dans la famille des hôtels Hyatt débute en 2002 avec un parcours riche d’une expérience internationale : au Hyatt Regency Casablanca, en qualité de directeur des opérations. En 2007, il prend la direction générale du Hyatt Regency Johannesburg en Afrique du Sud, puis celle du Park Hyatt Chennai en Inde (2011), du Hyatt Regency Paris-Charles de Gaulle (2013) et enfin du Grand Hyatt São Paulo au Brésil (2016).
Depuis 2019, il dirige donc la destinée de l’Hôtel Martinez dont l’histoire est indissociable de celle du Festival de Cannes. Inauguré en 1929, l’Hôtel Martinez – au style Art Déco – propose 411 chambres et suites, revisitées dans l’esprit Riviera des Années 30, mais aussi 15 salons modulables de 2 500 m² qui permettent d’accueillir en toute saison des conventions, séminaires et événements. Un hôtel qui, de Coppola à Belmondo, en passant par Sophia Loren, Alain Delon, Steven Spielberg, Gérard Depardieu, Catherine Deneuve ou Pedro Almodovar, accueille chaque année les plus grandes stars françaises et internationales du cinéma.
En octobre 2021, Bureau d’Image et l’Hôtel Martinez ont noué un partenariat dans la continuité du partenariat établi de longue date entre Bureau d’Image et Hyatt France (le Palace Park Hyatt Paris-Vendôme étant historiquement le tout premier partenaire du cabinet en 2005). En octobre, Bureau d’Image a accompagné l’Hôtel Martinez pour des formations en management du grooming pour les responsables de services et en grooming pour les équipes opérationnelles. Des formations introductives dans la perspective d’un calibrage sur mesure de nouvelles formations pour l’année 2022.
Bureau d’Image : Comment définiriez-vous le luxe ?
Yann Gillet : Le luxe, c’est tout ce qui a trait à la surprise plaisante. La surprise qui intervient au bon moment. Avec justesse et bon goût. Des petits plaisirs que quelqu’un a concoctés pour nous sans que l’on puisse imaginer que cette personne ait pu y penser ou deviner ce qui nous enchanterait.
BI : Le luxe à la française existe-t-il et quelles seraient ses caractéristiques ?
YG : Le luxe à la française existe bel et bien et entretient selon moi une réelle dualité. Il est d’un côté d’un grand classicisme, très traditionnel, à l’image de certains hôtels et tables bourgeoises. D’un autre côté, il est très novateur et iconoclaste. Le luxe à la française est ainsi : il conserve les bases du classique tout en étant à la pointe de l’innovation. Au bord, parfois, de la provocation.
BI : Quelle personnalité incarne à vos yeux le mieux le luxe aujourd’hui ?
YG : Je retiens deux personnalités qui illustrent justement cette dualité classicisme/innovation. Anna Wintour, tout d’abord, qui incarne les codes du luxe et de l’élégance. Je suis particulièrement fan de ses masterclass. Pour l’aspect novateur du luxe, je pense à Virgil Abloh, artiste designer et styliste qui créé les tendances. Il définit les modes et déniche les talents. Il a d’ailleurs été désigné Directeur artistique de la ligne masculine de Louis Vuitton en 2021.
BI : Quelles ont été les grandes évolutions dans le luxe au cours des dernières décennies ? Quelle sera l’hôtellerie de luxe de demain ?
YG : Les grandes évolutions tournent autour de la digitalisation. Il est impératif et difficile d’intégrer l’expérience élégante et luxueuse dans le digital. Le luxe de demain consiste à employer les solutions pour appréhender au mieux les outils technologiques sans dépersonnaliser la relation avec les clients. Il nous faudra trouver les bons codes dans la communication digitale pour ne pas tomber dans le promotionnel qui ne respecte pas la Marque. L’autre marqueur crucial des dernières années, c’est le temps que l’on ne peut plus prendre. La rapidité et l’efficacité font partie du luxe. On n’attend plus. Le temps d’un déjeuner ou d’un dîner gastronomique, par exemple, s’est également raccourci.
BI : Comment les entreprises du luxe se démarquent-elles ?
YG : Les entreprises du luxe se distinguent par la disponibilité permanente de leurs équipes et de leurs services, et l’extrême efficacité d’exécution. L’autre particularité du luxe, c’est la simplicité et la bienveillance. Ce n’est pas parce qu’un service, un produit ou une offre sont chers que ce doit être compliqué. Le luxe ne doit pas être ostentatoire. Il se cache dans des petits détails liés à la simplicité. Le parfum, les fleurs, le service… Le luxe ne doit pas être stressant et s’inspire même de l’art du Feng Shui.
BI : Comment décririez-vous une expérience client réussie en magasin, dans un hôtel ou lors d’un voyage ? Quels sont les facteurs clés visant à enchanter et à fidéliser les clients ?
YG : Une expérience réussie, c’est la surprise permanente et plaisante. C’est aussi l’invisibilité du service. Tout est mûrement réfléchi, pensé, préparé, mais le client ne doit rien voir et ne doit pas subir le service. Il doit être pleinement acteur de son expérience.
BI : Quel est votre plus grand souvenir dans un hôtel de luxe ?
YG : De l’un de mes mentors professionnels, Michel Jauslin (ancien grand dirigeant de Hyatt Hotels & Resorts), j’ai retenu les 3 choses essentielles au confort dans l’hôtellerie : la qualité du lit, la qualité de l’air conditionné et la qualité de la douche. Au Park-Hyatt Paris-Vendôme, j’avais été épaté par la douche en pierre de Paris, le rainshower et le lavabo intégré. Le tout dessiné par le célèbre architecte d’intérieur Ed Tuttle.
BI : Quel est le cadeau le plus luxe que vous ayez fait ?
YG : Un dîner pour célébrer les 40 ans de mon épouse en Afrique du Sud, dans un splendide Lodge Singita au cœur de la savane, au milieu des lions et des carabiniers. Un moment absolument divin.
BI : Quel est le cadeau le plus luxe que vous ayez reçu ?
YG : Etant fan de Napoléon, mon épouse avait réservé une Croisière Ponant jusqu’à l’Île Sainte-Hélène à l’occasion du bicentenaire de la mort de l’Empereur. Cette croisière haut-de-gamme devait se dérouler au printemps 2021, en présence notamment des historiens Max Gallo et Franck Ferrand, mais a été annulée en raison de la crise sanitaire…
BI : Qu'est-ce qui est considéré comme un luxe, mais dont vous ne pourriez pas vous passer ?
YG : Pouvoir nager toute l’année en baie de Cannes.
BI : Quel leader êtes-vous ? Quels principes guident votre vie professionnelle et quelles exigences la direction d’un établissement de luxe requiert-elle ?
YG : Je m’impose ce que j’attends de mes équipes : de la bienveillance et une bonne compréhension de nos clients. Avec patience et simplicité. C’est pourquoi il est important à mes yeux d’accompagner mes équipes pour qu’ils comprennent ce que vivent nos clients. J’encourage ainsi les équipes et les invite à vivre elles-mêmes l’expérience et le parcours client. Sur le fond et la forme, dans mes échanges avec les équipes, il est aussi important de faire attention à ce que l’on dit et à la manière dont on le dit.
BI : Quelle qualité première exigez-vous de vos équipes ?
YG : La bienveillance.
BI : Quelle faute vous inspire le plus d'indulgence ?
YG : La faute de grammaire. Avec le temps, je deviens un peu plus indulgent (sourire).
BI : En quoi est-il essentiel de former vos équipes à l’excellence du service client ?
YG : Nous donnons à nos équipes les règles, les outils et les codes du service client. Nous leur enseignons les routines, leur fournissons les compétences clés, de beaux uniformes… mais ce que nous ne pouvons pas dicter, c’est l’attitude vis-à-vis des clients. Nous mettons nos collaborateurs dans les meilleures conditions pour qu’ils délivrent le meilleur d’eux-mêmes, qu’ils fassent preuve d’empathie, de bienveillance, de sincérité, d’authenticité… Cette attitude doit venir naturellement.
BI : Accordez-vous une importance particulière à la posture et au savoir-être des employés dans l’industrie du luxe ?
YG : Plus que le savoir-être, qui ne s’enseigne pas, nous accordons une attention toute particulière à la posture et au savoir-faire. Nous enseignons et formons nos collaborateurs aux bonnes postures, à l’hygiène corporelle, à la manière de se comporter. C’est le b.a.-ba dans l’industrie du luxe et les métiers de l’hospitalité.
BI : Même en qualité de dirigeant, continue-t-on d'en apprendre chaque jour un peu plus sur le luxe, ses codes et ses multiples façons de l'incarner ?
YG : Je crois sincèrement que nous devons entretenir une extrême humilité dans nos métiers. Je rejoins Steve Jobs lorsqu’il déclarait : "Cela ne fait aucun sens d’embaucher des gens intelligents puis de leur dire ce qu’ils doivent faire. Nous enrôlons des gens intelligents afin qu’ils nous disent ce que nous devons faire." Le monde bouge et évolue si vite que nous devons être en alerte, curieux de tout. A l’écoute de ceux qui nous entourent professionnellement pour apprendre et innover en permanence.
BI : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes professionnels ?
YG : D’abord de voyager pour la richesse multiculturelle que l’on acquiert. Cela permet d’apprendre des langues, de rencontrer de nouvelles cultures, religions, usages. Le voyage enrichit et renforce les personnalités. Dans un second temps, il m’apparaît essentiel d’oser, de prendre des risques, de tenter.
BI : Que préconisez-vous pour les hommes : barbe soignée ou rasage de près ?
YG : Je suis, sur ce plan, très classique, et privilégie le rasage de près. La barbe soignée reste sujet à interprétations et tout le monde ne place pas le curseur du soin au même niveau. Il est donc plus simple de privilégier le rasage de près.
BI : Pour les femmes : pour ou contre le vernis rouge ?
YG : Je suis pour le vernis rouge. Je le trouve très féminin et glamour. Beau, élégant et chic.
BI : Pour ou contre les tatouages ?
YG : Je n’ai rien contre dans la mesure où ils ne sont pas apparents. On ne met pas d’autocollant sur une Ferrari.
BI : Si le luxe était une couleur, quelle serait-elle ?
YG : Le Bleu Klein.
BI : Un animal ?
YG : Un chat. Le Sacré de Birmanie.
BI : Un adjectif ?
YG : Optimiste.
BI : Une émotion ?
YG : La joie.
BI : Une œuvre d’art ?
YG : Un concerto de Rachmaninov. Ou le presse citron de Philippe Starck (le Juicy Salif).
BI : Une devise ?
YG : "Mens sana in corpore sano" – "Un esprit sain dans un corps sain".
BI : Une vertu ?
YG : La bienveillance.
BI : Un personnage historique ?
YG : François Vatel, maître d’hôtel et grand organisateur de fêtes sous le règne de Louis XIV. Epuisé par l’organisation d’une réception pour le roi et ne supportant pas des retards dans la livraison de poissons qu’il comptait servir, il s’est suicidé.